LA ROUTE DU RHUM, COURSE À ENJEUX MULTIPLES
La 12e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe s’élance le 6 novembre de Saint-Malo avec une participation record de 138 skippers. Dont 29 sur un bateau conçu (*) par l’agence VPLP Design, pour laquelle la transat en solitaire revêt tous les quatre ans une importance majeure.
Avec ses 138 solitaires au départ, le million et demi de personnes attendues à Saint-Malo et son millier de journalistes accrédités, la Route du Rhum-Destination Guadeloupe est, tous les quatre ans, un des rendez-vous sportifs majeurs. Pour tous ses acteurs, elle peut s’avérer une formidable caisse de résonance : “L’événement est extrêmement médiatisé, pour nous, c’est une occasion unique de montrer nos bateaux au grand public, à la presse et à d’éventuels futurs clients, l’enjeu est super important sur toutes les classes, on se met un peu la pression”, confirme Xavier Guilbaud, architecte associé de VPLP Design, qui a notamment œuvré sur les Ultims SVR Lazartigue et Banque Populaire XI, candidats au podium à Pointe-à-Pitre.
Depuis 1990 et la victoire de Pierre 1er, mené par Florence Arthaud, VPLP Design a toujours été récompensée dans la catégorie des grands multicoques, puisque se sont successivement imposés les Orma Primagaz (Laurent Bourgnon, 1994 et 1998), Géant (Michel Desjoyeaux, 2002) et Gitana 11 (Lionel Lemonchois, 2006) puis, trois fois de suite, le même Ultim(e), lancé sous le nom de Groupama 3 (Franck Cammas, 2010) avant de devenir Banque Populaire VII (Loïck Peyron) et Idec Sport (Francis Joyon). Autant de multicoques dessinés par l’agence.
“Quand on a un bateau qui arrive premier à Pointe-à-Pitre, c’est toujours une consécration pour l’équipe, c’est sûr qu’avoir un palmarès est toujours rassurant pour un sponsor quand on lui propose un design”, analyse Vincent Lauriot Prévost. Le cofondateur de VPLP Design se souvient, à l’inverse, de la catastrophique édition 2002 (seulement trois Orma à l’arrivée sur 18 au départ), éprouvante à vivre (voir ci-dessous). “Même si c’est quand même un bateau dessiné par VPLP qui a gagné (Géant de Michel Desjoyeaux), on s’est retrouvés exposés à beaucoup de questionnements à l’arrivée à Pointe-à-Pitre, sans avoir forcément les réponses.”
Depuis, l’agence a donc continué à voir « ses » bateaux gagner, ce qui a également été le cas en Ocean Fifty (2006 et 2014) et en Imoca (2014 et 2018, bateaux dessinés avec Guillaume Verdier). Une catégorie Imoca dans laquelle la concurrence s’est considérablement densifiée ces dernières années. “Par rapport aux multicoques, où on est souvent deux ou trois acteurs, la concurrence a évolué, note Vincent Lauriot Prévost. Pas forcément en nombre, mais plus dans le sens où, souvent, un architecte sortait du lot : il y a eu les années Finot-Conq, puis les années Farr, puis nos années avec Guillaume, les meilleures équipes avaient tendance à travailler avec le même cabinet. Aujourd’hui, le jeu s’est ouvert, leurs choix se portent sur une plus grande variété d’architectes.”
Ce qui fait dire à Quentin Lucet, architecte associé, qui a notamment travaillé sur le dernier Malizia-Seaxplorer de Boris Herrmann : “C’est stimulant, plus on a de concurrence autour, plus on se pose des questions, plus on essaie de comprendre comment les autres cabinets répondent aux mêmes questions qu’on se pose, c’est d’ailleurs très intéressant de constater que, manifestement, on n’a pas tous trouvé les mêmes solutions.”
La 12e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe va-t-elle apporter des réponses sur la nouvelle génération d’Imoca (7 bateaux neufs seront au départ sur 38) ? “C’est sûr qu’il y a des attentes spécifiques pour cette classe, car il y a un certain nombre d’enseignements qu’on a tirés du dernier Vendée Globe qui nous ont permis de faire évoluer le design, poursuit Quentin Lucet. Mais ça reste des bateaux dont l’objectif ultime demeure le Vendée Globe et on rencontre rarement sur un Rhum les conditions d’un Vendée Globe, surtout au niveau des états de mer, donc on n’aura pas forcément toutes les réponses.” Vincent Lauriot Prévost abonde : “L’épreuve de vérité sera plus The Ocean Race”, en référence à la course autour du monde en équipage à laquelle participera Malizia-Seaexplorer à partir de janvier prochain.
Pour ce qui est de la classe Ultim, cette Route du Rhum recèle son lot d’enjeux : “Le principal, c’est de savoir si on a réussi à faire des bateaux exploitables, et à quel niveau, par le skipper”, estime Quentin Lucet. Xavier Guilbaud confirme : “Plus que tout, c’est la capacité du bonhomme à mener le bateau qui va compter. Un bateau mieux préparé, plus facile en ergonomie de plan de pont, avec moins d’efforts et de frictions peut faire la différence.” Vincent Lauriot Prévost met de son côté en avant la protection du skipper, clairement une des priorités de l’agence dans ses derniers designs : “Je pense que celui qui va se fatiguer le moins aura sûrement un avantage par rapport aux solitaires qui vont se retrouver exposés, le bateau de François (Gabart) a cet atout, tout comme Koesio, l’Ocean Fifty d’Erwan Le Roux, conçu comme ça.”
La performance du dernier-né des Ocean Fifty sera scrutée de près au sein de l’agence : “C’est clair qu’il y a de l’enjeu pour nous, parce qu’on sent que pas mal de marins commencent à taper à la porte de la classe, tout le monde va regarder les résultats de la Route du Rhum avec intérêt, ça peut déboucher pour nous sur un ou deux projets”, estime Xavier Guilbaud.
Ce qui vaut aussi pour la Class40, dans laquelle l’agence, néophyte, débarque avec humilité (quatre bateaux au départ) : “On n’est pas là pour défendre une position, on est là pour essayer de se faire une place, confirme Vincent Lauriot Prévost. Je ne nous vois pas parmi les favoris, même si je pense que certains peuvent jouer dans les cinq. Et c’est vrai que cette Route du Rhum peut conditionner la suite du projet, tout dépendra de la satisfaction des skippers à l’arrivée et de la manière dont ils vont parler de leur bateau.”
Verdict à partir de mi-novembre !
(*) Sur ces 29 bateaux, 10 Imoca ont été dessinés avec Guillaume Verdier.
LA ROUTE DU RHUM ET VPLP
1986 : la date de la première participation de bateaux dessinés VPLP Design à la transat en solitaire, avec Poulain, trimaran de 23 mètres skippé par Olivier de Kersauson et Calcialiment-Laiterie du Mont-Saint-Michel, ex Gérard Lambert, premier bateau dessiné par l’agence (en 1983), barré par Olivier Moussy. Les deux seront contraints à l’abandon.
8 : le nombre de victoires consécutives remportées par un bateau dessiné par VPLP Design dans la catégorie des grands trimarans. Après le succès inaugural de Pierre 1er en 1990 (Florence Arthaud), se sont en effet imposés les Orma Primagaz (Laurent Bourgnon, 1994 et 1998), Géant (Michel Desjoyeaux, 2002) et Gitana 11 (Lionel Lemonchois, 2006) puis, trois fois de suite, le même bateau, lancé sous le nom de Groupama 3 (Franck Cammas, 2010) avant de devenir Banque Populaire VII (Loïck Peyron) et Idec Sport (Francis Joyon).
1998 : premier triplé en grand multicoque de l’agence, qui truste les trois premières marches du podium en Orma, avec la victoire de Laurent Bourgnon (Primagaz) devant Alain Gautier (Brocéliande) et Franck Cammas (Groupama). Suivront deux autres triplés : en 2014 – Loïck Peyron (Banque Populaire VII), Yann Guichard (Spindrift 2), Sébastien Josse (Gitana XV) – et en 2018 – Francis Joyon (Idec Sport), François Gabart (Macif) et Thomas Coville (Sodebo Ultim’).
2 : le nombre de victoires de VPLP Design dans la catégorie des multicoques de 50 pieds – aujourd’hui Ocean Fifty – avec Crêpes Whaou ! 2 en 2006 (Franck-Yves Escoffier) et FenêtréA-Cardinal (Erwan Le Roux en 2014). 2 victoires également en Imoca, avec le succès en 2014 et 2018 du même bateau, dessiné avec Guillaume Verdier : Macif (François Gabart) qui deviendra SMA (Paul Meilhat).
29 : le nombre de bateaux dessinés par VPLP Design (certains avec d’autres architectes) au départ de l’édition 2022 : 5 en Ultim, 4 en Ocean Fifty, 14 en Imoca (dont 10 co-signés avec Guillaume Verdier), 4 Class40, 2 en Rhum Multi. L’agence est présente dans 5 des 6 catégories en lice.
67 : l’âge de Philippe Poupon, vainqueur de l’édition 1986, qui revient cette année en classe Rhum Multi sur l’ancien Pierre 1er rebaptisé Flo, en hommage à Florence Arthaud.
12,18 : la taille en mètres des plus petits bateaux au départ du Rhum, les Class40, les plus grands, les Ultim, mesurant 32 mètres de long.
7 jours 14 heures 21 minutes et 47 secondes : le record à battre sur le parcours entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre (3 543 milles, soit 6 552 km), détenu par Idec Sport depuis 2018. Lors de la première édition, 40 ans plus tôt, Mike Birch avait mis 23 jours et 7 heures sur Olympus.
SOUVENIRS DE RHUM
L’histoire de VPLP Design avec la Route du Rhum a débuté en 1986 avec deux premiers multicoques conçus pour Olivier de Kersauson et Olivier Moussy. Les deux fondateurs de l’agence, Vincent Lauriot Prévost et Marc Van Peteghem, ainsi que deux architectes du pôle course, Quentin Lucet et Xavier Guilbaud, livrent leurs souvenirs marquants de l’épreuve.
Marc Van Peteghem : 1990
« J’étais très copain avec Florence Arthaud, je me souviens d’une nuit à discuter, on devait avoir 19 ans, elle était en première année de médecine, moi en maths sup, elle me disait qu’elle voulait arrêter pour se consacrer à la mer et à la voile ; de mon côté, j’envisageais de partir en Angleterre faire une école d’architecture navale. Elle m’avait alors dit que ce serait super qu’un jour, je lui dessine son bateau. C’est le genre de phrase merveilleuse que tu lances comme ça quand tu es gamin, sauf qu’en fait, ça s’est concrétisé pas mal d’années plus tard avec Pierre 1er, à bord duquel elle s’est alignée au départ de la Route du Rhum en 1990. C’est un bateau qui a beaucoup compté pour Vincent (Lauriot Prévost) et pour moi ; entre sa conception et le développement de l’histoire avec Florence, tout aura été magique. Et l’arrivée en Guadeloupe restera un choc émotionnel incroyable, nous étions sur l’eau avec toute la famille de Florence, dont nous sommes restés très proches, tout le monde garde en tête ces images, avec le reflet du soleil sur le flotteur doré. C’est un moment qui m’a marqué à la fois professionnellement et personnellement. »
Vincent Lauriot Prévost : 2002
« L’édition 2002 aura été la plus intense que j’aie vécue, il se passait quelque chose tous les jours. La préparation avait été compliquée, parce que beaucoup de bateaux (trimarans de la classe Orma) avaient été construits en même temps, ils n’avaient pas eu le temps d’être éprouvés ou fiabilisés, Michel Desjoyeaux avait par exemple mis à l’eau Géant en juillet et avait démâté dès sa première sortie. Ensuite, avant même d’être rentré à la maison après avoir suivi le départ à Saint-Malo, je reçois un premier coup de fil qui m’apprend que Groupama est à l’envers et a été percuté par Bonduelle ! Et le lendemain matin, ça n’a plus arrêté… Il faut comprendre que c’était une période où comme les équipes techniques étaient moins étoffées qu’aujourd’hui, elles nous sollicitaient beaucoup, pareil pour les journalistes qui voulaient comprendre cette hécatombe (15 des 18 bateaux ne verront pas l’arrivée), ça a été très particulier. Et jusqu’au bout, puisqu’à moins de 48 heures de l’arrivée, Steve Ravussin, sur l’ancien Brocéliande d’Alain Gautier que nous avions dessiné, s’est retourné alors qu’il était en tête. Heureusement, Michel (Desjoyeaux) nous a remis du baume au cœur en arrivant le premier, mais c’était vraiment une édition très éprouvante. »
Quentin Lucet : 2002
« Je suis né en 1978, l’année de la première édition de la Route du Rhum, c’est une coïncidence, mais c’est une course qui a toujours été assez présente dans mon parcours. Sur cette édition 2002, j’étudiais l’architecture navale à Southampton, j’avais toqué à la porte de Marc Guillemot pour effectuer un stage, il barrait alors l’Orma Biscuits La Trinitaine. Je faisais un peu de tout, préparateur, « strateux », et j’avais décidé de me payer le billet d’avion pour aller voir l’arrivée à Pointe-à-Pitre qui avait été un moment assez fort en émotion parce que Marc a été un des trois à arriver au bout (deuxième derrière Michel Desjoyeaux et devant Lalou Roucayrol). C’est en Guadeloupe que j’ai rencontré pour la première fois Vincent Lauriot Prévost. Pour l’étudiant que j’étais, c’était un peu une légende, j’étais très intimidé, on avait dû juste trinquer et se dire quelques mots, mais c’est sans doute grâce à cette rencontre qu’a commencé ma future histoire chez VPLP, puisque quelques années plus tard, en 2006, Vincent, m’a appelé pour savoir si j’étais intéressé pour travailler avec lui sur le premier projet Imoca de l’agence, en collaboration avec Guillaume Verdier. »
Xavier Guilbaud : 2018
« C’est une édition dans laquelle j’ai été personnellement très impliqué pour avoir été architecte principal de Macif et de Banque Populaire IX. Le chavirage d’Armel a été terrible à vivre, angoissant. On voit bien à un moment qu’il n’avance plus, mais on n’a pas de nouvelles ; au bout d’une heure ou deux, on apprend que le bateau s’est retourné, on n’en sait pas beaucoup plus, jusqu’à ce qu’on nous dise qu’Armel a été récupéré, le soulagement ! Ça ne reste qu’une casse matérielle, mais elle a été assez traumatisante, c’est terrible de voir disparaître un bateau dans lequel on a mis trois ans d’une vie. Mais avec du recul, j’en garde le côté positif : même si l’origine de la casse est liée à la rencontre avec un ofni, on a réussi après cette édition à se mettre autour d’une table avec les différents architectes et les équipes pour tout remettre à plat. Et on a pu rebondir tout de suite grâce à Banque Populaire, qui est reparti sur un nouveau bateau. Cette Route du Rhum ne s’est pour autant pas finie après le chavirage d’Armel ! On pense la course gagnée pour François (Gabart), jusqu’à ce finish improbable avec Francis (Joyon) qui revient de loin et le coiffe au poteau. A l’arrivée, une grosse satisfaction pour nous, entre la victoire de Francis, la troisième du bateau, et la belle deuxième place de Macif, qui avait été handicapé une bonne partie du parcours. »