C’est une expérience rare pour un architecte de VPLP Design : embarquer pour 8 000 milles de convoyage à bord d’un Imoca dessiné par l’agence. Antoine Lauriot Prévost a ainsi eu le privilège de naviguer à bord d’HUGO BOSS lors de son retour de Cape Town jusqu’à Gosport, après son abandon dans le Vendée Globe.
En communication permanente avec Xavier Guisnel, qui coordonne l’équipe ingénierie chez VPLP Design, Antoine a engrangé une expérience précieuse pour mieux comprendre le comportement d’un Imoca dans la mer du large et faire progresser les outils d’analyse de performance. Un vécu qui permet aussi de ramener une dimension « navigation et sensation » bénéfique dans les phases préliminaires de conception des futurs Imoca. Explications avec Antoine et Xavier.
Un volume intérieur suffisant en équipage
HUGO BOSS a remis cap au nord le 9 janvier 2021, avec, à son bord, le skipper Alex Thomson, deux équipiers et Antoine Lauriot Prévost. « J’étais un peu inquiet avant de partir sur la façon dont on allait vivre à quatre pendant quatre semaines ! En fait, le volume intérieur est suffisant, d’autant qu’on alternait pilotage et repos en binôme. Avant le voyage, il m’était difficile d’imaginer la vie à bord avec le cockpit fermé, mais on se rend vite compte que c’est un vrai luxe et beaucoup plus facile pour être à 100%. Et puis Alex est agréable, curieux et très partageur de son expérience. C’était sympa de le voir à fond sur la performance après la grosse déception de l’abandon », raconte Antoine.
Les 8 000 milles ont été parcourus essentiellement au portant VMG dans des vents de 10 à 30 nœuds. « Nous faisions un check des zones réparées toutes les 24 heures et rien n’a bougé. Au début, j’étais attentif aux bruits suspects à l’accélération. A la fin, c’est quand le bateau ralentissait que je me réveillais ! »
Revenir aux sensations
Cette confrontation à la vérité du terrain sur une aussi longue durée est quelque chose de rare pour un architecte… donc de précieux : « On vient compléter notre expérience avec des sensations, c’est quelque chose de très utile pour les réflexions autour des prochains bateaux du Vendée Globe », apprécie Antoine.
Que retient-il, justement, en termes de sensations, de ces 8 000 milles à bord d’HUGO BOSS ? « D’abord un potentiel de performance incroyable quand les conditions sont propices, proche des résultats de nos études. » L’architecte a ensuite été marqué par « la dégradation importante des performances due aux conditions de mer, en particulier la violence des variations de vitesse. C’est un phénomène que l’on avait sous-estimé jusqu’ici tant qu’on n’avait pas navigué au large sur une longue séquence à bord d’un bateau pas toujours réglé de façon optimale. » En clair, un mode de navigation qui se rapproche plus des conditions réelles d’un coureur en solitaire que d’un entraînement au large de Lorient en équipage.
Nourrir l’algorithme d’aide au réglage par des données réelles
Ce long convoyage a aussi été l’occasion d’alimenter en données “fraîches” un projet innovant de VPLP Design. Depuis un peu moins d’un an, l’agence a en effet lancé un programme de recherche basé sur l’intelligence artificielle. « Le principe est assez simple, explique Xavier Guisnel. Avec SYD, nous disposons d’un simulateur dynamique sur lequel on lance des dizaines de milliers de runs avec des réglages différents (extension de foil, rake, angle de quille, ballasts, tous les réglages accessibles en mer). » Des données, qui, jusqu’ici, servaient à fournir au marin des tables de réglages optimums en fonction des vitesses moyennes obtenues, uniquement théoriques.
« Aujourd’hui, poursuit Xavier, ces résultats sont digérés dans un premier temps dans un réseau de neurones (algorithme d’intelligence artificielle) qui comprend petit à petit le fonctionnement du bateau : c’est la première phase d’apprentissage. Ensuite on installe l’algorithme à bord du bateau en navigation où il fait l’acquisition des performances réelles. » Résultat : la machine continue à se nourrir et à parfaire sa connaissance. « Le but, c’est, à un moment donné, de pouvoir lui demander de proposer une meilleure configuration de réglage pour aller plus vite, basée sur des données réelles », conclut Xavier.
Un outil prometteur pour la gestion de la performance en course
Débuté l’an passé sur un Mod 70, ce programme a donc connu une nouvelle étape de son développement sur HUGO BOSS. A bord, Antoine faisait des enregistrements sur des runs d’environ 20 minutes pour lisser les données. Neal Mc Donald, Performance Manager chez Alex Thomson Racing, se chargeait de réceptionner les fichiers et de les convertir pour qu’ils soient exploitables au cabinet. « Il y a toute une cuisine informatique pour que ça fonctionne, mais c’était assez fluide. Surtout, l’arrivée de WhatsApp nous a permis de dialoguer en temps réel avec Antoine pour tester des configurations. Un peu plus de rake, un peu moins de quille, etc. », explique Xavier.
Le développement de ce programme, mené en interne avec notamment Hugo Roche et des experts extérieurs en deep learning, est loin d’être fini : « C’est prometteur pour aider le skipper dans sa gestion de la performance, notamment en solitaire, poursuit Xavier. Un beau lien entre nos études théoriques de prédiction de performance et les performances réelles. »